Alice Miller était une psychanalyste hors norme ! Une des premières à remettre en cause de nombreux dogmes psychanalytiques enseignés jusque là comme des vérités depuis leur découverte par Freud, père de la psychanalyse. Alice Miller est mère d’une nouvelle approche de la thérapie, basée sur son expérience et ses observations sur la violence cachée des adultes envers les enfants.
Elle remet en cause principalement la théorie du fantasme, convaincue que cette théorie crée un nouveau drame pour le patient, le retournement de la faute sur lui. Au départ de ses découvertes, Freud lui-même affirme que toutes ses patientes hystériques révèlent sur le divan qu’elles ont subi un abus sexuel de la part d’un proche (père, frère, oncle, grand-père, amis, etc.). Devant le rejet de sa découverte par ses pairs, isolé, il va revenir sur ses paroles et affirmer que ses patientes, à partir de leur désir sexuel pour le père, ont fantasmé un abus sexuel. Pour cela il va prendre appui sur le célèbre mythe d’ Œdipe, Œdipe ayant tué son père et épousé sa mère. Il oublie de préciser que ceci est le résultat du désir de mort du père sur son enfant qui a permis cela.
Alice Miller va résolument prendre la défense de l’enfant blessé, terrorisé, devenir l’avocate de la défense de cet enfant que le patient a été et elle va inlassablement encourager les personnes à trouver un thérapeute qui va être un défenseur de cet enfant blessé, un témoin bienveillant, un avocat de la défense de l’enfant.
Pendant toute sa vie, elle va chercher à connaître l’enfance émotionnelle des grands dictateurs du monde (Hitler, Staline, Ceausescu,) et de quelques écrivains, pour comprendre pourquoi tant de violence et comment l’inconscient est à l’œuvre dans de tels actes de barbarie. Elle va révolutionner la psychanalyse, sera marginalisée et continuera jusqu’à sa mort en avril 2010, à l’âge de 87 ans dans le sud de la France où elle habitait depuis de nombreuses années, à essayer de répondre à la question qui la tourmente « d’où vient le mal dans le monde et comment se génère t’il ? ».
Ces livres essaient de répondre inlassablement à cette question. Pour Alice Miller, aucun doute, la racine de la violence est dans l’éducation, en particulier pendant la toute petite enfance car c’est à cette période que les structures de base du psychisme se mettent en place. Aujourd’hui toutes les découvertes en neurosciences confirment ses thèses.
Quelle influence pour le travail en thérapie ?
Il est étonnant à quel point Alice Miller est peu connu dans le monde de la psychologie en France, rarement enseignée, pour ne pas dire jamais. Etonnant à quel point la France est cramponnée à ses théories psychanalytiques freudiennes, lacaniennes, kleiniennes, enseignées principalement dans les facultés publiques et privées. Pendant mes six années d’étude, pas une seule fois, il n’en a été question.
Seule la FF2P (Fédération française de psychothérapie et de psychanalyse) organise des colloques en hommage à son travail.
A l’écoute de toutes les souffrances, les abus sexuels, vécues par les patients quand ils étaient enfant, en particulier les petites filles pour ce qui concerne les abus sexuels (mais pas seulement), si fréquents, il me semble urgent de dénoncer cette théorie abusive, pour devenir capable d’entendre vraiment « la souffrance muette de l’enfant », titre d’un de ses livres, afin de comprendre les tentatives de l’inconscient pour remettre en scènes ces drames dans l’illusion de s’en libérer. C’est ainsi que les scénarios répétitifs vont détruire la vie tout en croyant la trouver.
Seule la pulsion de vie existe affirme Alice Miller, et c’est cette pulsion qui va nous pousser à la répétition pouvant aller jusqu’à la mort dans une illusion mentale trompeuse.
Alice Miller, elle-même, n’échappa pas à cette répétition. C’est ce que révèle Martin Miller, son fils, après la mort de sa mère. Il publie son histoire, « Le vrai drame de l’enfant doué, la tragédie d’Alice Miller », révélant ainsi sa vie en Pologne son pays natal, le drame de la guerre et les conséquences sur ses comportements dans sa vie de couple et avec ses enfants.
Alice Miller sera l’inspiratrice de nombreux thérapeutes dans le monde entier, en particulier Jean Jenson, une thérapeute américaine qui a formé Ingeborg Bosch Bonomo créatrice de la PRI (Past reality intégration), approche thérapeutique où l’on devient l’avocat de la défense de l’enfant blessé que nous avons été.
Elle sera aussi l’inspiratrice d’Olivier Maurel, fondateur de l’OVEO (Observatoire de la violence éducative ordinaire). Dans tous ses livres, à la suite d’Alice Miller, il ne cesse de dénoncer la violence faite aux enfants, même la plus ordinaire (fessée, humiliations, rejet), dans toutes les cultures, comme source principale de la violence dans le monde. Il dénonce aussi le déni de cette violence dans le monde de la psychanalyse et le monde des religions. Son dernier livre « Vingt siècles de maltraitance chrétienne des enfants » est édifiant de cette tragédie et du chemin qu’il reste à parcourir.
A notre époque d’éveil de la conscience, à la lumière des connaissances sur le psychisme, des neurosciences, nous devons nous interroger sur le soin aux enfants, leurs besoins vitaux et devenir des éducateurs éveillés. Ce sera la chronique du mois suivant.
Pour aller plus loin sur ce sujet :
Toute la bibliographie d’Alice Miller, en commençant par « Le drame de l’enfant doué » et « C’est pour ton bien, racines de la violence dans l’éducation ».
Pour comprendre les différents avec la psychanalyse, le passionnant travail de l’australien Jeffrey Masson dans son livre « Le réel escamoté » et dans le film « l’affaire Freud » de Michel Meignant.
La biographie d’Olivier Maurel, principalement « Oui la nature humaine est bonne, la violence éducative ordinaire la pervertit depuis des millénaires », et « Vingt siècles de maltraitance chrétienne des enfants. »
Pour mieux connaître les neurosciences et l’enfance, le livre du Dr Gueguen « Pour une enfance heureuse » ainsi que « La science au service des parents » de Margot Sunderland.
Pour travailler à sa propre histoire, le livre de Jean Jenson « Reclaiming your life » et sa version française « Reconquérir sa vie ».
Et la bibliographie de Ingeborg Bosch Bonomo, « Guérir les traces du passé », « Illusions » et « Vivre pleinement sa vie » qui permettent un travail personnel approfondi sur ce thème.